Dispensation et surveillance des traitements : un rôle indispensable

Au domicile des patients, l’infirmière libérale joue un rôle déterminant concernant l’observance et la iatrogénie lors de la prise des médicaments. Si ce rôle commence à être reconnu, de nombreux actes accomplis par les infirmiers peinent encore à être financés. Le point. Article paru dans le numéro 30 d’ActuSoins magazine (septembre 2018).

Les infirmières libérales ont une mission de surveillance afin de s’assurer qu’aucune erreur n’est commise dans la prise du traitement. © Natacha Soury

Comme l’a annoncée la ministre de la Santé le 22 mars 2018 lors de la Journée du bon usage du médicament, « la iatrogénie médicamenteuse constitue un enjeu majeur de santé publique responsable d’environ 7 500 décès par an. Elle touche en particulier les personnes âgées, souvent atteintes de maladies chroniques et polymédiquées ». Sujet plus que jamais d’actualité, la iatrogénie médicamenteuse est d’ailleurs au cœur des négociations conventionnelles entre les syndicats représentatifs des infirmiers libéraux et l’Assurance maladie.

Au domicile des patients, les infirmières libérales (idels) sont confrontées à cette problématique comme à celle de l’observance thérapeutique. Les difficultés de compréhension des patients vis-à-vis de leurs traitements sont fréquentes. En cause : des posologies qui varient au quotidien ou qui s’adaptent à la biologie, des traitements de plus en plus complexes comme, par exemple, la chimiothérapie orale. Une complexité renforcée avec l’arrivée des médicaments génériques, sources de complication pour les personnes âgées « mais pas uniquement pour elles d’ailleurs », souligne Catherine Kirnidis, présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil).

Les patients victimes de troubles cognitifs, sensoriels, visuels, psychiatriques ou moteurs peuvent aussi être en difficulté pour la prise de leurs médicaments. Or, les patients avec les troubles psychiatriques peuvent décompenser s’ils ne sont pas observants. Il s’agit donc d’un vrai problème à prendre en considération. C’est le cas aussi des patients qui ne parlent pas français ou qui ne savent pas lire. « Je prends en charge un couple de patients espagnols qui ne comprend pas le pilulier, rapporte Ghislaine Sicre, présidente de Convergence infirmière. La patiente l’a inversé, prenant le matin un médicament pour dormir, elle a alors chuté et nous avons mis du temps à en comprendre la raison. »

Un rôle déterminant

© iStock/illubertina

Les infirmières libérales ont une mission de surveillance afin de s’assurer qu’aucune erreur n’est commise dans la prise du traitement. Elles doivent vérifier l’ordonnance et sa cohérence. « Nous devons nous assurer que ce que nous délivrons au patient correspond à la prescription du médecin », indique Catherine Kirnidis, pour qui il n’est pas rare de constater des incohérences de prescriptions ne serait-ce qu’entre médecins. Et de poursuivre : « certains patients ont un stock important de médicaments chez eux avec parfois des dates de péremption dépassées, les risques d’accidents sont non négligeables. J’ai déjà compté quarante boites de Dafalgan chez un patient et un an et demi de stylos à insuline dans le frigo d’un autre. »

L’infirmière libérale a aussi pour mission de surveiller les effets secondaires des médicaments. Crampes, troubles de la conscience, chutes, sont des signaux d’alerte par rapport à la tolérance du traitement.« La iatrogénie, ce n’est pas seulement faire attention au traitement, pointe du doigt Christine Kirnidis. Notre rôle est aussi de veiller à ce que le bon médicament soit pris au bon moment. »

Des compétences reconnues ?

L’administration du traitement fait partie du rôle propre infirmier mais seul un acte est prévu à la Nomenclature générale des actes professionnels(NGAP). Le texte (1) précise que l’infirmière libérale peut surveiller un patient une fois par jour pendant quinze jours, renouvelable une fois, pour la mise en œuvre d’un traitement. Cet acte peut s’appliquer si un patient a par exemple un épisode d’hypertension et qu’il n’est pas habitué au traitement. L’infirmière va assurer cette surveillance et tenir une fiche de résultat afin que le médecin puisse contrôler l’efficacité du traitement.

« Les patients doivent donc pouvoir se débrouiller tous seuls passés quinze jours de prise en charge »,regrette Catherine Kirnidis. « Nous ne disposons d’aucun autre acte pour nous occuper de la dispensation des médicaments à domicile », poursuit Ghislaine Sicre. Seule exception à la règle : les patients psychiatriques, que les infirmières libérales peuvent aller voir autant de fois que nécessaire à condition d’avoir effectué une demande d’entente préalable à la Caisse primaire d’assurance maladie (Cpam) au-delà d’un mois.

Il existe dans certains territoires une tolérance de la part des Cpam, qui ont constaté les risques liés à la iatrogénie, notamment chez les personnes âgées. Mais il ne s’agit que d’une tolérance, que les syndicats souhaiteraient sécuriser en créant un nouvel acte.« L’Assurance maladie peut actuellement réclamer des indus car ce suivi ne fait pas partie des actes pris en charge dans le cadre de la NGAP », indique Catherine Kirnidis. De fait, en dehors de toute prise en charge globale d’un patient qui permet à l’infirmière libérale de l’accompagner dans la surveillance de son traitement, la situation est compliquée, sauf si l’infirmière accepte de travailler bénévolement…

Les syndicats d’infirmiers ont demandé la création d’un bilan d’évaluation et de vérifications des médicaments, qui devrait leur être accordé dans le cadre des négociations conventionnelles (à vérifier avant publication), avec trois séances pendant un mois, envisagées pour la mise en œuvre et le suivi du traitement. « Notre rôle sera de vérifier si les personnes ont bien compris l’intérêt du traitement et de faire un compte rendu au médecin », rapporte Catherine Kirnidis.

Le problème : ce bilan médicamenteux est aujourd’hui uniquement prévu pour les patients non dépendants et à la demande du médecin. « Ce n’était pas notre priorité, ajoute-t-elle. Nous ne sommes pas vraiment satisfaits. » Pour Philippe Tisserand, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI)*, l’Assurance maladie est prudente en termes de dépenses, ce qui explique pourquoi la cible populationnelle concernée est réduite mais « ce nouvel acte dans la nomenclature reste une avancée ».

Faire reconnaître le rôle des infirmières libérales

©iStock/WanjaJacob

La FNI tente par ailleurs de déployer un outil permettant d’aider les infirmières dans le cadre de l’observance et faire reconnaître leur rôle au détour des actes. Aujourd’hui, lorsqu’elles constatent un défaut d’observance, elles le consignent, le tracent, l’évaluent et alertent le médecin traitant, la famille et le pharmacien pour mettre en place des mesures correctrices. Il est difficile pour les infirmiers de décrire ce rôle car il est « naturel et inscrit dans cette approche holistique et globale du patient », rappelle Philippe Tisserand.

En 2016, en partenariat avec Medissimo, la FNI a lancé une étude auprès de 400 infirmières libérales volontaires « pour prouver l’efficacité de l’accompagnement infirmiers auprès des patients chroniques sur le suivi de l’observance »afin d’améliorer l’efficience thérapeutique et rendre tangible et quantifiable la valeur ajoutée infirmière. « Nous avons effectué un vrai travail de mobilisation et de réflexion autour de la Préparation des doses à administrer (PDA) et de l’observance thérapeutique », souligne Philippe Tisserand. Cette étude a permis de mesurer et d’observer les usages des infirmières libérales.

La FNI a également testé une application mobile permettant la traçabilité et la mesure de l’observance, l’objectif du syndicat étant de créer un outil gratuit pour permettre aux infirmières d’assurer ce rôle. « Seule l’idel peut effectuer la traçabilité en temps réel, estime le président de la FNI. Ensuite, il faut mesurer l’observance toutes les semaines pour remonter l’information au médecin traitant qui est le pilote de l’observance. » Le syndicat travaille sur ce projet pour la fin de l’année*.

Après plusieurs tests, l’outil a été retravaillé pour s’intégrer au mieux à la pratique infirmière à domicile. « Nous avons d’ailleurs fait des propositions précises dans le cadre des négociations conventionnelles et avons suggéré un schéma de PDA 2.0 afin de proposer à l’infirmière de travailler comme le pharmacien, c’est-à-dire sur la base de l’enregistrement de l’ordonnance et en produisant de l’information donc des données de traçabilité et des mesures d’observance. »Et de conclure : « Il s’agit pour nous de positionner la profession sur son champ naturel d’exercice et sur le champ du médicament, soutient Philippe Tisserand. Nous devons marquer notre territoire car si nous ne le faisons pas, ce sont les pharmaciens qui vont le faire à notre place. »

Laure Martin

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*article paru en septembre 2018 (le président de la FNI est, depuis décembre 2018, Daniel Guillerm)

(1)Article 10 du chapitre I du titre XVI sur les soins infirmiers, de la NGAP : « Surveillance et observation d’un patient lors de la mise en œuvre d’un traitement ou lors de la modification de celui-ci, sauf pour les patients diabétiques insulino-dépendants, avec établissement d’une fiche de surveillance, avec un maximum de quinze jours, par jour. » Cotation : 1AMI1.

 

Cet article est paru dans le n°30 d’ActuSoins Magazine (septembre 2018).

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L’infirmière comme médiateur entre la personne âgée et le médecin ?

Le Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI) s’est basé sur une étude canadienne pour encourager les infirmières à se saisir de leur responsabilité dans les cadres des prescriptions médicamenteuses des personnes âgées, afin de réduire les prises de médicaments.

D’après Thierry Amouroux, président du SNPI, il relève des compétences propres des infirmières de se positionner entre la personne âgée et le médecin au sujet de la prescription de médicaments. Car il n’est pas rare que les personnes âgées se retrouvent avec des ordonnances comprenant plus de dix médicaments à prendre quotidiennement, ce qui est « associé à deux fois plus de risque de faire une chute chez les personnes de plus de soixante ans », fait savoir le SNPI.

D’après le syndicat, une infirmière doit inciter un patient à parler de sa prescription à son médecin, si elle l’estime nécessaire. Cette démarche peut être « plus simple en libéral » selon Thierry Amouroux, car « l’infirmière a plus de temps avec le patient ». L’objectif est de réduire le nombre de médicaments afin de maintenir ou d’améliorer la qualité de vie du patient. Ce rôle infirmier a d’ailleurs été renforcé dans le Code de déontologie de la profession infirmière (section 4). Le SNPI estime que le patient va pouvoir s’appuyer sur sa conversation avec l’infirmière pour oser en parler à son médecin. Le syndicat souhaite de cette manière réaffirmer la citoyenneté du patient âgé, c’est-à-dire ne pas décider à sa place mais le rendre responsable de son traitement.