En Roumanie, en résistance contre la corruption et les baisses de salaire

Ramona est assistante médicale, l’équivalent de l’infirmière française, en Roumanie. Hôpitaux et cliniques se modernisent petit à petit mais la corruption continue à régner. Face aux conditions difficiles dans les hôpitaux roumains, une partie du personnel de santé déserte pour l’Europe de l’Ouest. Article paru dans le numéro 29 d'ActuSoins Magazine (Juin 2018).

© Radu Ciorniciuc

Aussi loin qu’elle s’en souvienne, Ramona a toujours voulu être infirmière. S’occuper des autres, c’est d’abord une histoire de famille. La jeune femme de 29 ans est originaire de Braila, une ville moyenne à l’Est de la Roumanie, presque sur les bords du Danube. Son grand-père était brancardier, sa grand-mère infirmière, et son père chauffeur d’ambulance. 

Alors quand à l’école ses petits camarades avait un bobo, Ramona piquait discrètement des médicaments dans la pharmacie familiale, et prodiguait les soins. “On m’appelait le docteur des rues”,se souvient-elle, amusée. Elle a donc toujours voulu “aider les hommes”.Pourquoi ne pas devenir médecin ? “ Parce qu’en tant qu’infirmière, on est beaucoup plus en contact avec les patients”, répond Ramona, pleine d’assurance. 

Quatre années d’étude pour les assistants médicaux

La jeune femme de 31 ans, cheveux éclaircis, yeux pétillants et traits fins, est désormais “assistante médicale” dans une clinique privée de Bucarest spécialisée en oncologie. En Roumanie, l’assistant médical est hiérarchiquement supérieur à l’infirmière.

Après quatre années d’études, les assistants médicaux sont chargés de la préparation du patient, de l’application des traitements, de l’information au patient, de sa surveillance et des interventions en cas d’urgence.Ils font notamment les pansements et les soins post-opératoires ou les poses de drains. Les assistants médicaux en Roumanie sont en fait l’équivalent des infirmières en France. Et en Roumanie, les “infirmiers et infirmières” sont plutôt l’équivalent de nos “aides-soignants” : ils s’occupent de l’hygiène, des repas, de la mobilisation des patient, de la propreté. 

Tous les matins, lorsqu’elle débute son service, Ramona, en blouse orange et polaire bleue fait le tour de chaque patient pour savoir comment s’est passé la nuit, vérifie le traitement en cours, l’explique au patient puis part préparer la tournée à la pharmacie. Dans son service, il y a une assistante médicale et une infirmière pour trois à quatre médecins.

Le soutien psychologique, indispensable en oncologie

Elle doit aussi s’occuper des patients extérieurs qui viennent pour les pansements par exemple. Mais ce que Ramona préfère dans son métier, c’est le soutien psychologique. “J’aime essayer de comprendre les patients. Ils ont vraiment besoin d’être écoutés, surtout ici en oncologie, les patients sont souvent très atteints psychologiquement ”.

Pendant ses études à la faculté, elle a d’ailleurs décidé de suivre une formation en “développement personnel”, en parallèle de son cursus classique, pour mieux accompagner les patients. “ J’essaye d’être la plus patiente possible. J’écoute sans juger et je me concentre sur ce qu’il me raconte. Pour être efficace, c’est important d’apprendre à gérer les émotions ...les siennes et celles des patients”.

Ramona raconte par exemple l’énervement d’une de ses patientes quelques semaines auparavant : “ elle était en colère parce que je lui avais laissé sa perfusion - ce qui était préconisé - et ne voulait rien entendre de mes explications. Du coup, je suis simplement partie le temps qu’elle se calme. Je suis repassée quelques minutes après, et tout s’est arrangé”. 

Le privé se modernise plus rapidement

Les couloirs de son unité n’ont rien à envier à n’importe quelle unité similaire d’Europe de l’Ouest. Lits modernes, chambres spacieuses, sols brillants. Les conditions semblent bonnes. Pas grand chose à voir avec ce qu’elle a pu observer lors dans ses expériences précédentes dans certains établissements publics, où elle a fait plusieurs stages.

Même si cela ne fait que six ans que Ramona travaille, elle a déjà la double expérience du privé et du public, deux environnements souvent très différents en Roumanie. Ramona se remémore ses débuts : “ dans un sens, pour nous, c’était plus facile. On n’avait pas besoin de demander l’autorisation pour tout. Ici, il faut absolument tout justifier, tout expliquer aux patients, chaque geste, chaque traitement... quitte à ce qu’ils refusent parfois…”

Mais elle se souvient aussi de conditions difficiles. Lorsqu’elle a commencé, à l’hôpital de Braila, il y avait cinq lits par chambre, contre deux ici. Et surtout “ les patients devaient acheter eux-mêmes tout le nécessaire, comme les seringues, les médicaments ou le matériel médical requis pour leurs traitements”.Un coût qui était difficile à supporter pour les malades. 

La corruption gangrène l’hôpital

Des conditions qui ne sont pas étrangères à la corruption qui révolte bon nombre de Roumains. Régulièrement ces dernières années, des vagues de manifestants se soulèvent contre leur gouvernement et pour le respect de l’Etat de droit.

Le secteur de la santé est l’un des plus corrompus du pays, dans le public surtout...et Ramona peut en témoigner. “Par exemple, pour avoir une chambre avec moins de patient, les patients te proposent 50 ou 100 lei (= 10 ou 20 euros)”.Elle se souvient d’un patient qui lui a glissé un billet de 50 lei après un traitement.  “Ils font cela pour te remercier de ton attitude avec eux ”.Mais Ramona résiste : “ je n’ai pas choisi ce métier pour cela ”, explique-t-elle. Mais quand les patients ne comprennent pas, elle se débrouille autrement : “ ce jour-là par exemple, le patient ne voulait rien entendre, donc j’ai laissé billet sur la table ensuite”. 

Ramona explique avoir été sensibilisée à la faculté contre ce problème qui continue pourtant de gangrener le système, mais elle se refuse à juger ses collègues qui se laissent aller à ces pratiques. “Peut-être qu'ils ont des enfants... Je ne cherche pas à comprendre vraiment, ils ont aussi sans doute appris cela du système d'Etat.” Elle estime gagner raisonnablement sa vie, aux alentours de 530 euros par mois. 

Les infirmières roumaines en grève

Mais ces derniers mois, le personnel de santé est descendu dans la rue à plusieurs reprises pour protester en particulier contre un nouveau règlement qui empêche une augmentation réelle des salaires, promise par le gouvernement. Ce règlement conduit même parfois à des baisses significatives de salaires. Ramona n’est pas touchée par cette réforme, mais sa mère oui. Elle était en grève cette semaine.

Au-delà du salaire, le manque d’investissement et les mauvaises conditions, dans le public surtout, exaspèrent le personnel médical. Alors pendant que certains manifestent, beaucoup quittent le pays. Ramona  sait qu’elle gagnerait beaucoup plus à l’étranger, mais elle n’envisage pas de partir : “nous manquons de personnel qualifié...Du coup, ça met plus de pressions dans les équipes, mais rien que l’idée de partir m’irrite. Je ne me vois pas du tout à l’étranger...En plus, j’ai déjà des collègues et même une cousine qui est partie, et l’intégration n’est toujours facile”.

Depuis 2007, selon l’Institut national démocrate, 43 500 médecins, dentistes, infirmiers, pharmaciens et sages-femmes ont rejoint l’Europe de l’Ouest, où ils touchent des salaires jusqu’à dix fois supérieurs à ceux de leur pays.

Ilione Schultz

Cet article est paru dans le numéro 29 d'ActuSoins Magazine (juin 2018)

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