Le musée pour resocialiser

L'unité cognitivo-comportementale du pôle gérontologie, au CRHU de Montpellier, et le Musée des beaux-arts ont mis en place des cycles de visite au musée pour des patients Alzheimer en période de troubles comportementaux. Cette thérapie permet de réduire ces troubles, d’apaiser et de renouer des liens sociaux. Article paru dans le numéro 29 d'ActuSoins Magazine (Juin 2018).

cycles de visite au musée pour des patients Alzheimer en période de troubles comportementaux

© DR

« On entend les cigales, l’eau du Lez… nous sommes entrés dans le tableau. » Un jeudi après-midi de mai, au Musée Fabre, une guide conférencière capte l’attention de sept patients de l’Unité cognitivo-comportementale (UCC) du CHRU. Tous sont studieusement concentrés devant “Vue de village, une toile de Frédéric Bazille (XIXe s.).

En même temps qu’elle décrit le tableau, la plasticienne fait circuler de main en main des matières telle qu’une branche de pin parasol, du romarin, de la résine sur une écorce, un peu de terre du bord du Lez, puis un ras de cou en velours noir, un large bandeau de satin orange…Sur leurs fauteuils, face au tableau, ce petit public s’anime, réagit aux odeurs, commente, évoque un souvenir d’enfance dans la rivière, acquiesce, rit... Sous l’œil bienveillant des soignants en civil, ici hors cadre soignant-soigné, et parfois des familles, conviées à la visite.

« Tous ces patients sont en séjour à l’UCC pour des troubles comportementaux perturbateurs difficiles à gérer, associés à une pathologie neuro-dégénérative » précise le docteur Stéphanie Thomas, gériatre de l’unité. « Ilssont accueillis chez nous parce qu’ils sont devenus incompatibles avec leur lieu de vie habituel, domicile ou Ehpad. »

Un travail interdisciplinaire permet aujourd’hui de sortir de l’UCC, pour les amener au musée Fabre une fois par mois, ces patients que la maladie a désocialisés. « Même avec de gros troubles comportementaux, ils se retrouvent comme n’importe quel visiteur normal, avec des émotions qu’on peut toujours stimuler, et des aptitudes réactivées »résume Isabelle Terral. Cette infirmière de l’UCC a participé aux premiers ateliers « Culture à l’hôpital » mis en place ici en 2012, dans une visée thérapeutique.

Stimuler la mémoire

« L’UCC développe des thérapies non médicamenteuses (TNM) et innovantes en vue de réduire les troubles du comportement de ses patients », fait observer Stéphanie Thomas, médecin gériatre. La méthode Montessori basée sur une pédagogie active de l’autonomie,fait partie de ces TNM qui s’avèrent particulièrement intéressantes pour stimuler certaines mémoires et réduire de tels troubles.

« La peinture offre une approche originale qui a confirmé sa pertinence », ajoute la médecin gériatre. « A leur arrivée nous évaluons les capacités préservées et nous basons notre prise en charge sur ces capacités résiduelles. » Le travail mené par la structure associe médecin, neuropsychologue, psychologue, psychomotricienne et aides-soignantes...

« L’évolution de la pathologie cérébrale peut entraîner des troubles de la communication, notamment de l’expression orale et de la compréhension », rappelle Marie Lembach, neuropsychologue. « La communication non verbale est préservée de même que les émotions et les mémoires procédurales », précise-t-elle toutefois.« Des patients qui ne s’expriment pas par ailleurs, vont par ce biais évoquer de façon cohérente, des souvenirs anciens ; le but c’est de les faire réagir au niveau émotionnel. »

Cinq tableaux pour réveiller l’émotionnel

Le musée pour resocialiser

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Avant de les amener au musée, devant l’œuvre originale, tout un travail préparatoire est réalisé au sein de l’UCC, par les thérapeutes et les soignants volontaires, en partenariat avec les médiateurs du musée. D’abord pour choisir dans les collections du Musée, les tableaux susceptibles de provoquer des réactions - olfactive, visuelle, tactile, auditive… 

Une fois choisis, la première approche se fait à l'UCC, en atelier adapté, à partir d’une copie de l‘œuvre. « Chaque année nous proposons un cycle de cinq tableaux, un par séance mensuelle, de janvier à juin. Nous travaillons sur les émotions puis sur les cinq sens », confie Marie Lembach. Les séances durent trois quarts d’heure à une heure. « Il est très rare qu’un patient ne reste pas toute la séance », constate la neuropsychologue.

La première étape, autour d’une table, fait découvrir l’œuvre aux patients de manière active, en leur donnant à lire un livresur le tableau. « Nous les avons écrits grâce aux informations données par le musée », explique Marie Lembach qui les rassemble dans un fascicule conçu pour être accessible et facilement manipulable. « L’écriture en gros caractères est adaptée aux troubles de la mémoire et cognitifs de façon générale : attention, langage…A une page correspond une information, c’est adapté à leurs difficultés et à la concentration », explique la neuropsychologue.

Découverte sensorielle

A cette partie cognitive succède la découverte sensorielle du tableau, avec ses détails transformés par un plasticien du musée en matière ou objet à toucher, sentir, voir, entendre. Le but ? Recréer la toile pour que des patients avec de gros troubles cognitifs puissent y accéder grâce à une stimulation globale de ses capacités restantes.“ Le mariage mystique de Sainte-Catherine ”,chef d’œuvre de Véronèse (XVIe s.), par exemple, décliné en plumes, étoffe, broche, fil d’or, myrrhe, boite à musique, bouquet de fleur, ou “ Vertumne et Pomone , de Jean Ranc (XVIIIe s.), donnant à sentir ou goûter les pommes et les poires d’une corbeille de fruits, manipuler une ombrelle, toucher une robe satinée…

« Les stimulations sensorielles sont toujours positives, il n’y a pas d’échec », constate Isabelle Terral. « On donne à ces patients le moyen de montrer leurs compétences, de dire ce que leur rappelle un tableau. » Venir au musée en “connaisseur”contribue à les rassurer.

De telles séances parviennent, concrètement, à transformer des patients prostrés, très confusou agités voire violents, en personnes présentes, apaisées, valorisées. Elle est aussi un bon support pour communiquer avec la personne en période d’anxiété, une fois revenue à l’UCC, et la remettre en situation de bien-être.

« La formation de soignant nous amène à penser « sanitaire », ça ne correspond pas au fonctionnement d’un lieu de vie. Nous focalisons sur le protocole de soin, pas sur la réponse sociale qui va permettre à la personne de s’épanouir » observe Isabelle Terral. « L’objectif de cette hospitalisation est atteint quand on voit les patients sourire, échanger, discuter et être capable de donner leur avis. Ils existent. »

Le travail mené par le Musée a abouti à la réalisation d’une valise « L’Art émoi », contenant livret, guide de l’utilisateur, préconisations, liste des éléments sensoriels… L’outil est destiné aux Ehpad et aux unités d’hébergement renforcé. « Il ne faut pas craindre de faire rayonner cette expérience pilote dans une communauté beaucoup plus large pour sortir des personnes d’une unité fermée pour leur permettre d’accéder à la culture » prévient Stéphanie Thomas.

Myriem Lahidely

Cet article est paru dans le numéro 29 d'ActuSoins Magazine (juin 2018)

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