A l’Institut du sein, infirmières et patientes se livrent

A l’hôpital privé de l’Estuaire, au Havre, un Institut du sein simplifie le parcours des patientes atteintes de cancer du sein, du diagnostic à la fin des traitements. A chaque étape, des soignants aident à vivre ces femmes frappées dans leur intégrité. Cet article est paru dans le numéro 29 d'ActuSoins Magazine (Juin 2018).

Nolwenn Mulot, infirmière en chirurgie gynécologique (à, gauche), fait les transmissions concernant les patientes que Céline Hauchecorne, infirmière coordinatrice (à droite), s’apprête à rencontrer. © Hervé Chatel / Hans Lucas

C’est un petit cocon dans le hall de l’hôpital privé de l’Estuaire, au Havre. Dans un coin, un diffuseur d’huiles essentielles répand des notes d’agrumes, aux propriétés apaisantes. Des coussins confèrent une allure douillette aux fauteuils. Depuis 2014, cet Institut du sein est le repère des femmes atteintes d’un cancer.

Dans la salle d’attente aux tons roses, un couple, la quarantaine, patiente en silence. Le visage crispé par l’angoisse, indifférent à la beauté de l’orchidée qui déploie ses corolles sur la table basse. Dans quelques minutes, Jean-François Le Digabel, chirurgien gynécologue et sénologue, leur annoncera un diagnostic de tumeur du sein et ses traitements : chirurgie, puis chimiothérapie et/ou radiothérapie et/ou hormonothérapie en fonction de l’analyse anatomo-pathologique de la tumeur. Un parcours coordonné de bout en bout par l’équipe de l’Institut du sein.

« Une prise en charge rapide et globale »

Une équipe pluridisciplinaire : Céline Hauchecorne, infirmière coordinatrice, discute d’une patiente avec le docteur Jean-François Le Digabel, chirurgien gynécologue et sénologue. © Hervé Chatel / Hans Lucas

Mis en place à l’échelle du groupe Ramsay Générale de Santé, cet Institut réunit en un lieu unique et ouvert les consultations de trois médecins, une attachée de recherche clinique, une assistante de cancérologie, un kinésithérapeute spécialisé dans le drainage lymphatique et une infirmière coordinatrice.

Ce regroupement a notamment permis de réduire les délais de prise en charge entre diagnostic et chirurgie à 72 heures.« C’est une prise en charge rapide et globale, apprécie Nolwenn Mulot, infirmière en chirurgie gynécologique. Il y a un côté rassurant pour les patientes, car tout est expliqué de A à Z. Et pour nous, cela représente un gros travail d’équipe. »

L’hôpital concentre en effet la quasi intégralité de la prise en charge : service de radiologie de la maison médicale, chirurgie gynécologique, oncologie ambulatoire, éducation thérapeutique (sur l’alimentation, le sport, l’estime de soi…), soins de support offerts par l’association Recomfor : psychologue, assistante sociale, socio-esthéticienne, réflexologie plantaire, hypnose, art-thérapie, aromathérapie, infirmière référente douleur, sport adapté avec l’association Cami. Et même un salon de coiffure, une prothésiste capillaire, et une antenne téléphonique « jurisanté ». Seul le centre de radiothérapie se situe à l’extérieur.

Préalables au premier rendez-vous avec le chirurgien, une mammographie, une échographie, voire une biopsie déterminent la nature de l’intervention : mammectomie ou tumorectomie, avec ou sans curage axillaire. En consultation d’annonce, « j’utilise plein de termes pour arriver progressivement au mot « cancer ». Même ainsi, les patientes font parfois abstraction : elles peinent à encaisser », remarque Jean-François Le Digabel.

A ce stade, la peur de mourir domine.« Elles me demandent de leur enlever le sein pour avoir toutes leurs chances. Ces patientes ont besoin de réassurance, d’entendre qu’elles seront encore là dans un an, surtout quand il s’agit de femmes de 35 ans. On guérit ce cancer dans 85 % des cas. »

Guider pas à pas les vulnérables

Céline Hauchecorne, infirmière coordinatrice, réalise son premier entretien avec chaque patiente en post opératoire. « Les femmes m’y confient des choses très intimes. » Cette
consultation d’annonce infirmière permet aussi de reformuler les explications données par le
chirurgien lors du diagnostic. © Hervé Chatel / Hans Lucas

Un couple quitte sans se retourner le bureau de Magalie Auber. L’homme respire bruyamment en tentant de se reprendre.« Il y a eu un peu d’émotion », souffle l’assistante de cancérologie. Elle reçoit les patientes immédiatement après le chirurgien. Son intervention signe concrètement l’entrée dans la maladie. « Une fois que j’ai donné tous les rendez-vous (scintigraphie pour déceler des ganglions sentinelles, consultation d’anesthésie…), elles réalisent vraiment. Je les incite à me rappeler si elles ont des questions. Car cela représente beaucoup d’informations en peu de temps. »»

Magalie organisera aussi les premières séances de kiné post chirurgicales à l’Institut du sein et les consultations avec l’oncologue et le radiothérapeute. « Alors que le couperet est tombé, cela enlève un poids aux malades », souligne Gaëlle Ridel, cadre de santé de l’Institut, du service de chirurgie gynécologique et digestive, et présidente de Recomfor.

Dans le bureau d’en face, Céline Hauchecorne consulte les dossiers des patientes à visiter aujourd’hui, en chimiothérapie et en chirurgie. Rapidement, le téléphone l’interrompt. Au bout du fil, une patiente qui a achevé sa radiothérapie six mois plus tôt s’inquiète de savoir si elle pourra nager en vacances. « Vous pouvez avoir une vie tout à fait normale », la rassure l’infirmière coordinatrice.

Infirmière en soins palliatifs puis en chimiothérapie, Céline a aussi été infirmière d’annonce. Arrivée à l’Institut du sein fin 2015, elle a dû apprendre l’intégralité du parcours de soins, dont celui de chirurgie qu’elle ignorait. « Je suis donc allée au bloc pour assister à des tumorectomies, des poses de chambres implantables... »Elle s’est également formée à la gestion de l’agressivité et sur la sexualité et le cancer. Pour les soignants des autres services et les malades, elle est le fil d’Ariane de la prise en charge.

Céline guide pas à pas les plus vulnérables : celles qui reçoivent les trois traitements (chimiothérapie, radiothérapie et chirurgie), celles qui sont en récidive ou en évolution métastasique ou dans une situation difficile surlesplanssocial, psychologiqueoufinancier.Elle anticipe les rendez-vous à chaque étape. En lien avec tous les services, elle mutualise dans un dossier informatisé partagé les informations recueillies auprès des patientes et des soignants. Une collaboration transversale qui enrichit la connaissance des malades, au fil des échanges et des soins.

Un sourire comme une armure

Céline Hauchecorne (à dr.) travaille en interaction permanente avec
Magalie Auber, l’assistante de cancérologie (à g.). © Hervé Chatel / Hans Lucas

C’est en chirurgie qu’elle entre dans la vie des patientes. Dans un couloir du service, elle écoute attentivement les transmissions de Nolwenn. Cette dernière lui présente les femmes que Céline doit rencontrer en post-opératoire, pour la consultation d’annonce infirmière.

Quelques portes plus loin, Christiane*, 74 ans, maquillée et brushing soigné, accueille Céline, un sourire accroché au visage comme une armure.

L’infirmière l’aborde avec douceur : « Racontez-moi un peu : comment le cancer a été diagnostiqué ? Comment avez-vous pris cette nouvelle ? Le kiné vous a-t-il expliqué ce que vous pourriez faire ou pas ? »Elle questionne pendant une heure l’histoire de la maladie, l’histoire de vie, le contexte social, l’état psychologique, observe le comportement : acceptation ou peur, déni, combativité, angoisse… Céline recommande aussi la pratique du sport adapté : « Des dames ont commencé le sport avec la Cami, puis s’y sont fait des copines. La Cami, c’est le seul endroit où l’on ne parle pas de la maladie. »L’infirmière lui explique enfin le processus de décision des traitements en réunion de concertation pluridisciplinaire.

La patiente se dit « confiante, prête à se battre. »Mais alors que Céline s’apprête à prendre congé, Christiane reparle soudain de sa nièce victime d’un cancer du sein, qui « est toute brûlée, avec des démangeaisons terribles suite à la radiothérapie. »La remarque révèle un besoin inquiet de connaître la suite.

Les vécus sont parfois aux antipodes. Concernant une autre opérée de la semaine, Nolwenn raconte, visiblement impressionnée : « je n’ai jamais vu une mammectomie aussi bien : aucune douleur. Elle n’a pas hésité à regarder dès le premier sous le pansement. On lui a demandé si elle souhaitait en parler avec nous ou le psychologue… Elle a décliné. »

Parfois le ressenti est plus difficile. Après une ablation, en chirurgie ambulatoire, d’une tumeur d’abord estimée bénigne, une patiente a été rappelée pour subir un curage axillaire. « Quand je l’ai préparée pour le bloc, elle pleurait : c’était allé trop vite... »

« Beaucoup de psychologie »

Infirmière, Christelle Lebreton, pratique la réflexologie plantaire. Un soin de support qui aide à évacuer les tensions. © Hervé Chatel / Hans Lucas

C’est une particularité de ces malades. Toutes ont (eu) une mère, une sœur, une amie… atteinte du même cancer.« Elles sont bien documentées. Il existe toute une communauté « cancer du sein » sur Internet, témoigne Sophie Demier, infirmière en chimiothérapie. Cela les rend très exigeantes. On a à peine le temps de faire notre travail qu’elles nous devancent sur les soins de support, le casque [prévenant la chute des cheveux, ndlr]… Elles mettent en doute nos compétences si on ne répond pas tout de suite. Or, il y a un cheminement, il ne faut pas aller trop vite. »

« C’est mon rôle de les recadrer pour qu’elles ne se confondent pas dans un flot de questions », intervient Céline. Les infirmières ne sont pas trop de deux pour entourer une même patiente. Le soin relationnel revêt une dimension délicate. « Il faut beaucoup de psychologie », résume l’infirmière coordinatrice.

« La mammectomie, c’est violent, tranche Nolwenn. Souvent, elles ont senti une boule sous la douche, sont allées voir leur médecin et trois jours après, elles sont ici. On prend un temps fou à s’asseoir et parler avec elles. »

Et pour les soignantes, le risque de transfert est évident. « Nous sommes des femmes, et on leur retire un sein. Nous avons même eu une collègue hospitalisée dans le service. Mais on en discute beaucoup entre nous. »

La reconstruction passe aussi par des accessoires : lingerie adaptée, prothèses... Le jour de l’intervention et en fonction de l’état psychologique de la patiente, « on leur montre ces accessoires, qu’on essaiera ensemble le lendemain, explique Myriam Goubin, aide-soignante en chirurgie. Le gros du travail se déroule dans la salle de bains, quand elles se découvrent. C’est traumatisant, il y a beaucoup de pleurs. On les voit blanchir, mais « hop ! », on apporte la solution. Cela ne redonne pas la santé, mais cela aide à revivre. »

« On ne les lâche pas »

Myriam Goubin, aide-soignante en chirurgie gynécologique, accompagne les opérées dans leurs premiers essais de prothèses mammaires et de lingerie adaptée. Une aide précieuse pour la reconstruction psychologique. © Hervé Chatel / Hans Lucas

Interpellée dans les couloirs, par téléphone ou dans les services, Céline prolonge cet accompagnement pendant les traitements. Elle se charge aussi de l’éducation thérapeutique sur l’hormonothérapie.

Pendant et en fin de radiothérapie, elle les suit par téléphone, jusqu’à la reprise d’une vie sociale ou professionnelle normale. « Même si elles ne sont plus à l’hôpital, on ne les lâche pas. Parfois, les besoins de soins de support surviennent après, lorsqu’elles se retrouvent seules. C’est donc moi d’aller vers elles. »En s’adaptant au tempérament et à l’attitude de chacune quant à la maladie.

Dans une salle décorée de stickers fleuris, Colette*, 70 ans environ, est assise devant ses mots-croisés. C’est une petite dame coquette et franche, avec une touche de rose irisé sur les lèvres. Une poche de chimiothérapie s’écoule lentement via sa chambre implantable. « Il faut encore que je vous raconte tous mes trucs ? Vous savez que je ne me livre pas facilement », lâche-t-elle, butée. « Je suis là pour vous aider », lui rappelle patiemment Céline, avant de contacter l’infirmière douleur. Car cette patiente souffre aussi d’arthrose. Au final, Colette entame un intarissable récit sur ses habitudes quotidiennes, la gym douce avec ses copines…

Son cancer a récidivé après cinq ans.« Mais je vais y arriver, dit-elle avec un joli sourire. Si je me laisse abattre, c’est la mort. J’ai envie de vivre. » En planifiant des soins empiétant le moins possible sur l’existence, c’est cela aussi que les soignants s’efforcent de faciliter.

Emilie Lay

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* Les prénoms ont été changés

Actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article est paru dans le numéro 29 d'ActuSoins Magazine (juin 2018)

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