SOS AIT : en douze heures chrono

Depuis 2003, l’équipe de neurologie de l’hôpital Bichat (Paris) a formalisé une clinique de l’accident ischémique transitoire (AIT) associant orientation téléphonique et bilan neurovasculaire à J1, puis éducation thérapeutique. A la clef, une réduction de 80 % du risque d’AVC définitif. Des infirmiers spécialement formés sont en première ligne. Article paru dans le numéro 28 d'ActuSoins Magazine (mars 2018).

Aurélie Cambon, aide-soignante, Christian Calcar, infirmier

Aurélie Cambon, aide-soignante, gère le secrétariat tandis que Christian Calcar, infirmier, fait immédiatement une demande d'IRM. Le facteur temps est important dans la prise en charge. © Patricia Marais

8h30. Les embouteillages s’étirent sur le périphérique parisien, voisin de l’hôpital Bichat (Ap-Hp). A l’intérieur, Caroline Juliard Albany, infirmière, file rejoindre un patient arrivé « en urgence, donc avec un stress majeur », lâche-t-elle d’un air pressé. Dans le bureau adjacent, un café dans une main et le cahier des admissions dans l’autre, la docteure Lucie Cabrejo fait un point rapide avec les infirmiers et l’aide-soignante-secrétaire hospitalière : « Depuis ce matin, on en est déjà à trois AIT qui s’ajoutent aux sept patients programmés. »

En poste pour 12 heures, les deux infirmiers de l’hôpital de jour de neurologie sont déjà surbookés. Outre l’accueil de malades déjà suivis ici, après un accident vasculaire cérébral (AVC) constitué ou encore pour une sclérose en plaques, ce service prend en charge en urgence des personnes ayant présenté des signes d’AIT (accident ischémique transitoire).

Similaires à ceux de l’AVC constitué, ils ne durent souvent que quelques secondes ou minutes. « Ils sont brutaux et centraux, résume Christian Calcar, infirmier. Ce sont des troubles visuels (diplopie, cécité …), de la parole (aphasie, mutisme…), de l’équilibre, une céphalée inhabituelle, des vertiges, une paralysie faciale, d’un membre ou de tout un côté du corps, une hypoesthésie… »

Le caillot se résorbant seul et rapidement, l’imagerie cérébrale reste normale la plupart du temps. Mais 25 % des AVC constitués sont précédés d’un AIT. Ces patients sont donc reçus dans les 24 heures. Enjeu : initier immédiatement un traitement pour prévenir la récidive. Et limiter les séquelles par une réaction immédiate en cas de nouvel AVC. Dans cette prise en charge, le rôle des infirmiers est fondamental.

« SOS AIT, j’écoute »

SOS AIT accident ischémique transitoire : en douze heures chrono

Parmi la batterie d'examens réalisés à J1, l'examen sanguin. © Patricia Marais

Dans la poche de Christian, un téléphone bleu sonne. « SOS AIT j’écoute. »La carrure massive et la voix douce, l’infirmier va et vient entre le poste de soins et le couloir. Comme pour mieux se concentrer. « Vous avez vu votre médecin ? Cela a duré combien de temps ? 15 secondes ? Seulement l’œil gauche ? Il y a deux jours ?... »Au bout du fil, quelqu’un appelle sur les conseils d’un ami médecin, suite à une cécité monoculaire transitoire. L’interrogatoire est rapide, mais précis. La consigne, formelle. « Venez aujourd’hui. On va faire une prise de sang et une IRM. »Et de s’enquérir d’éventuelles contre-indications à cette imagerie par résonnance magnétique : « Vous n’êtes pas claustrophobe ? Vous ne portez pas de pacemaker ? »L’homme arrivera dans la matinée.

Ouverte 24 heures sur 24 via un numéro vert, la ligne téléphonique SOS AIT est régulée par un neurologue de garde les nuits et week-ends et par les infirmiers de l’hôpital de jour le reste du temps. A cette fin, ces derniers ont été formés aux urgences neurovasculaires par les médecins du service. Une autonomie appréciable, selon Lucie Cabrejo : « Ils savent quelles questions poser, sur quels critères faire venir les patients… Ils peuvent accepter la plupart des AIT sans passer par nous. »

Cette ligne reçoit une dizaine d’appels quotidiens, émanant généralement de médecins : pour de réels AIT ou des avis. « Certains particuliers appellent d’eux-mêmes. Or, il faut que ce soit un soignant qui donne l’information à un autre soignant », pour un message fiable, appuie Corinne Barré, la cadre de santé.

Objectifs : établir un premier diagnostic infirmier et déterminer le degré d’urgence. « Il importe de savoir quand le symptôme est apparu, s’il a récidivé et combien de fois, précise Christian. Si cela a duré une heure, on prévoit d’ores et déjà une hospitalisation classique en raison du risque de séquelles. »Au-delà, on passe en « alerte thrombolyse » - un thrombolytique injecté par voie veineuse ou intra artérielle – qui doit intervenir dans les 4h30 suivant l’installation des symptômes. Les infirmiers aiguillent alors la personne vers le Samu.

A J1, une batterie d’examens

Caroline Juliard Albany, infirmière, met un bracelet d'identification et fera dans la foulée une prise de sang, pendant la consultation avec le médecin, Lucie Cabrejo

Caroline Juliard Albany, infirmière, met un bracelet d'identification et fera dans la foulée une prise de sang, pendant la consultation avec le médecin, Lucie Cabrejo. © Patricia Marais

La prise en charge SOS AIT commence par un bilan visant à identifier les causes vasculaires individuelles de l’AIT : athéromateuse, hypertension artérielle, arythmie ou malformation cardiaques… Mais aussi à poser un diagnostic différentiel : de simples migraines… ou une tumeur cérébrale.

A J1, une batterie d’examens complémentaires complète les consultations infirmière et médicale, voire les avis de l’orthophoniste et du neuropsychologue. Un soignant faxe une demande d’IRM cérébrale dès l’arrivée du patient. Car tout doit être impérativement réalisé dans la journée : bilan sanguin à jeun (cholestérolémie, glycémie, hémostase…), mesure de la tension, électrocardiogramme, échodoppler transcrânien et des artères cervicales.

A J2, une échocardiographie transoesophagienne, un holter cardiaque et une IRM injectée permettent de finaliser le bilan étiologique. Cette concentration des examens permet en outre d’éviter des hospitalisations plus longues – 75 % des patients rentrent chez eux à l’issue de l’hôpital de jour.

Et si un AVC constitué survient tout de même dans le service, « c’est également nous qui accompagnons le patient à l’IRM. Jusqu’à ce que l’équipe d’alerte thrombolyse nous rejoigne », complète Christian.

« Un service très lourd »

Christian Calcar infirmier prend la tension d'une patiente en consultation de suivi post AVC

Christian Calcar prend la tension d'une patiente en consultation de suivi post AVC. © Patricia Marais

Dans une salle de consultation, l’infirmier démarre un bilan. « Je vais prendre votre tension assis et allongé, trois fois aux deux bras et aux chevilles, annonce-t-il au patient. Caroline passe sa tête à la porte, en quête de place : « C’est la crise du logement ! », rit-elle, en dépit de la pression. Prise en charge dense, gestion simultanée de la ligne SOS AIT : les infirmiers n’ont guère le temps de souffler. Avec 204 SOS AIT pris en charge en 2017 en plus des près de 1 000 patients programmés, « c’est un service très lourd », conclut Corinne Barré. Et pour l’œil extérieur, un sentiment de confusion.

« Mais nous avons l’habitude de jongler avec les urgences » : Christian affiche un flegme déconcertant. « Le facteur temps est très important, rappelle-t-il. Cela demande de la vigilance, de la réactivité, d’être vraiment organisé. Il faut analyser en permanence, faire des synthèses rapides : même occupés, on a toujours une oreille qui traîne. »

Tout en rassurant posément des patients souvent angoissés et, parfois, en négociant. « Certains refusent des examens ou pensent par exemple ne pas avoir peur de l’IRM. Mais lorsqu’ils entrent dans ce grand tube, ils veulent sortir directement. »Atout non négligeable, une des manipulatrice radio de Bichat pratique l’hypnose. Cet hôpital de jour représente aussi un moment pour « prendre soin de soi, suspendre le stress, le travail, la famille. Et être un peu cocooné », sourit Christian.

C’est un des messages des ateliers d’éducation thérapeutique (ETP), éléments du plan de prévention secondaire proposé aux patients, en complément du traitement médicamenteux par antiagrégants plaquettaires (ou anti-coagulants), statines et antihypertenseurs.

ETP : prévenir les récidives

Le Dr Jerôme Kusmierek effectue un Doppler

Le Dr Jerôme Kusmierek effectue un Doppler.

14h30. Direction l’autre bout de l’étage. Caroline a juste pu avaler un déjeuner en cinq minutes, avant d’animer l’atelier du jour avec Lucie, en charge de la coordination de l'éducation thérapeutique dans le service. Pédagogue, Caroline lance le programme :« Aujourd’hui, l’idée est de prévenir la récidive : prendre les traitements et agir sur les facteurs de risques cardiovasculaires. »

Un patient plaisante à la cantonade :« Vous avez révisé ? Il y a interro’ ! »Initiés en 2014, ces ateliers permettent en effet « d’estimer les connaissances des patients, de les aider à mieux comprendre leur traitement et à être plus réactif sur les risques d’AVC », note l’infirmière. De les réunir aussi, autour d’une expérience souvent traumatisante.

Une psychologue, une diététicienne et une sophrologue les coaniment selon les thèmes : apprentissage des signes de l’attaque cérébrale, prendre soin de soi via l’activité physique, sophrologie et groupe de parole.

« L’impression qu’il n’est rien arrivé »

Caroline Juliard Albany infirmière anime un atelier thérapeutique sur les facteurs de risque

Caroline Juliard Albany anime un atelier thérapeutique sur les facteurs de risque. © Patricia Marais.

Ce programme est capital. Car c’est un caractère sournois de ces AIT : les malades arrivent valides.« Ce que je trouve dangereux, c’est l’impression qu’il ne vous est rien arrivé », confie Solange*, qui participe pour la première fois. Près d’elle, Delphine*, blonde dynamique confirme : « comme je suis jeune, je l’ai mis sur le compte de la fatigue. J’ai eu une paralysie de la joue et du bras gauche pendant deux heures, avec une difficulté à parler. Cela m’a inquiétée. Mais je n’ai pas pris cette alerte au sérieux et je suis allée travailler. L’AVC qui a suivi deux jours après, je n’ai pas eu la sensation de le faire. »

Retour en hôpital de jour. La journée tire à sa fin. Christian laisse échapper un soupçon d’inquiétude. « Il y a encore deux patients à passer à l’IRM, mais les lignes ne répondent pas… », murmure-t-il avant de faire une nouvelle tentative. Un patient d’un certain âge, poli, guindé, entre dans le bureau. L’infirmier lui prépare une dose de charge d’antiagrégants plaquettaires avant de le laisser repartir. « Vous risquez d’avoir des hématomes », le prévient-il calmement. Admis près de dix heures plus tôt, l’homme se relève : « Les infirmiers sont très, très gentils. Je les ai trouvés extrêmement serviables, intelligents, vous expliquant, et demandant si vous avez des questions… », insiste-t-il. Cette journée « SOS AIT » s’achève. Il est bientôt 17h. Christian bascule la ligne vers la neurologue de garde.

Emilie Lay

* Les prénoms ont été changés  

Actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article est paru dans le numéro 28 d'ActuSoins Magazine (mars 2018)

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