Vientiane Rescue : ados et secouristes au Laos

A Vientiane Rescue, une organisation fondée par un ancien pompier français, trois-cent secouristes bénévoles, pour la plupart très jeunes, pallient l’absence de services d’urgence dans la capitale laotienne. Leur quotidien ? Les accidents de la route dans une ville sillonnée par des motocyclistes. Article paru dans le n°27 d'ActuSoins magazine (décembre 2017).

Une équipe de Vientiane Rescue fait une prière après avoir enveloppé le corps sans vie d'un accidenté de la route dans un tissu blanc

© Cyril Marcilhacy. Une équipe de Vientiane Rescue fait une prière après avoir enveloppé le corps sans vie d'un accidenté de la route dans un tissu blanc. Ils amèneront ensuite le corps au temple pour une crémation.

Dans la chaleur du soir, une bande de jeunes tue le temps au bord d’une route mal éclairée en périphérie de Vientiane. Devant leurs yeux, un ballet de mobylettes défile. De jeunes chauffards doublent des familles entières, enfants sur les genoux, bébés en bandoulières, sans casque. Les ados les regardent d’un œil distrait.  Ils font leurs devoirs, se tapent sur l'épaule, flirtent dans une ambiance de colonie de vacances. Puis soudain, le téléphone sonne. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, ils sont sur la route.

Quelques minutes plus tard, les voilà qui s’affairent autour d’un corps sans vie. L'air grave et concentré, ils emmaillotent le cadavre dans un linge blanc, sans un mot, puis installent un périmètre de sécurité pour tenir à distance les badauds venus regarder la scène d'accident. Victime d'un choc frontal avec une voiture, le chauffeur de mobylette a eu le crâne fracassé. Un classique dans la capitale du Laos. Les jeunes secouristes de Vientiane Rescue sont à peine impressionnés.

Alcool et deux-roues

Une équipe de Vientiane Rescue. Le Laos a l'un des taux d'accidents de la route les plus élevés de l'Asie du Sud-Est

© Cyril Marcilhacy. Une équipe de Vientiane Rescue. Le Laos a l'un des taux d'accidents de la route les plus élevés de l'Asie du Sud-Est.

D’après l’organisation mondiale de la santé, le Laos est le deuxième plus gros consommateur d’alcool en Asie du Sud-Est. Les usagers de deux roues prennent le volant alcoolisés et n’ont pas pour habitude de porter de casque. Le cocktail est détonnant.

Chaque mois, les secouristes de Vientiane Rescue ramassent plus de 500 blessés et plusieurs dizaines de tués sur les routes. L'accident, même mortel, fait partie du quotidien des secouristes bénévoles. Le week-end, passé vingt-deux heures, le téléphone ne cesse de sonner.

Vientiane Rescue fédère trois cents bénévoles, répartis sur quatre bases dans la capitale. Tous sont Laotiens, mais c'est un Français, Sébastien Perret, qui a impulsé le mouvement. Cet homme de presque quarante ans est arrivé est arrivé au Laos en 2008, au départ pour donner des cours de français et d'anglais dans un foyer d'étudiant.

Les ambulances ? Un service payant

Sébastien Perret, fondateur de la fondation, dans une ambulance conduisant une victime à l'hôpital

© Cyril Marcilhacy. Sébastien Perret, fondateur de la fondation, dans une ambulance conduisant une victime à l'hôpital.

Ancien pompier volontaire à Paris, il assiste, peu après son arrivée, à un accident à Vientiane. La scène le sidère.  « Les deux mecs qui étaient sur la moto ont été projetés contre un mur. On était juste à côté du principal hôpital et personne n’a bougé », se souvient Sébastien, stupéfait. L’hôpital, pourtant, dispose de quatre ambulances flambant neuves. Elles ne sortiront pas du parking.

« Les gens ici n’ont pas le réflexe de les appeler. Ils n’y pensent même pas car c’est un service payant et qu’ils n’en ont pas les moyens. Et quand bien même ils les appelleraient, cela ne changerait pas grand-chose. Ces ambulances données par l’aide internationale, mais elles ne sont pas équipées et les personnels à bord ne sont pas formés à la médecine d’urgence ».Une conductrice s’arrête sur le bord de la route et transporte les blessés. L’un meurt en route, l’autre à l’hôpital. Sébastien Perret décide de fonder une structure de médecine d’urgence.

Un fondateur passionné

Jeunes volontaires répétant les gestes de premiers secours dans une station proche de l'aéroport de Vientiane

© Cyril Marcilhacy. Jeunes volontaires répétant les gestes de premiers secours dans une station proche de l'aéroport de Vientiane.

Après un rapide passage au sein de la Croix Rouge, il fonde Vientiane Rescue avec une petite ONG locale, qui vient de se faire offrir une camionnette Ford. Il est seul, avec trois Laotiens âgés de quinze ans. « On avait pas de fric, pas de matériel, mais on avait quelque chose de beaucoup plus efficace : la passion. Un truc que vous ne retrouvez jamais dans le discours institutionnel ». Il parle comme il conduit dans les rues de la capitale : avec des à coups, parfois presque brutalement. « On en est arrivés là parce qu'on a été intransigeants et qu'on a rien lâché », siffle-t-il en donnant un grand coup d'accélérateur.

L’organisation vit avec les moyens du bord et des dons de particuliers. La plupart des camionnettes sont données par des particuliers et retapées avec les moyens du bord en véhicule médical. Chaque van transporte à son bord six secouristes, formés pour parer à toutes les situations. « Nous avons des plongeurs, des équipes de désincarcération, des pompiers... ils assurent à fond, sont capables de s'occuper de plusieurs blessés en même temps. Nos volontaires sont formés à l'institut national de médecine d'urgence de Thaïlande. Ils sont dix fois mieux formés que les pompiers Français », assure-t-il fièrement.

Trois cent bénévoles

Un jeune volontaire se repose après avoir transporté le corps sans vie d'un accidenté de la route

© Cyril Marcilhacy. Un jeune volontaire se repose après avoir transporté le corps sans vie d'un accidenté de la route. Il n'a que 15 ans, mais la mort fait déjà partie de son quotidien.

Du haut de ses vingt-quatre ans, Nithanong ferait presque figure de doyenne de doyenne au sein de l'association. C'est elle qui manœuvre, sirène hurlante, la camionnette emménagée en ambulance par les secouristes. Cette jeune femme au regard déterminé se destinait pourtant à un « travailler assise dans un bureau climatisé » dans le secteur bancaire. C'était avant d'assister, passive, à un accident de la route.

« J'ai vu la tristesse de la famille. Ils criaient et pleuraient, comme pour ramener le mort à la vie. J'ai été bouleversée par ma propre impuissance », avance-t-elle pour expliquer son engagement à Vientiane Rescue. Depuis qu'elle a rejoint les rangs des bénévoles, il y a un an et demi, sa vie se passe sur une des bases de l'association : un préfabriqué organisé en dortoir sommaires, une table en plastique et des chaises en bord de route, éclairés par des néons.

La grande majorité des volontaires de Vientiane Rescue sont encore lycéens. Pour prendre part aux permanences de l’association, ils doivent avoir l’autorisation de l’école et de leurs parents. Soy, 19 ans, est l’un des piliers du groupe. « Mes parents s’inquiétaient », témoigne-t-elle. « Quand ils ont vu que mes tournées nocturnes n’avaient pas d’effet sur ma scolarité, ils m’ont laissé faire », assure-t-elle.

D’autant plus que le bénévolat n’a pas son pareil pour mettre du plomb dans la tête. Antso, 18 ans à peine, se rappelle sa vie avant de rejoindre l’association.  Il faisait l'idiot avec ses copains sur les routes, se dressait sur la roue arrière de sa mob quand il sortait le soir. Pour sa première intervention, il se retrouve à ramasser les bouts de cervelle sur la chaussée. Un motard s'est fait écraser le crâne par une voiture. A côté du cadavre, un casque est posé dans le panier à l'avant de la bécane. C'est le premier contact d'Atso avec la mort. « Les autres étaient là et travaillaient, alors j'ai rempli ma mission. Je ne pouvais pas dire non. Mais en rentrant à la station, je n'ai pu ni manger ni dormir », explique-t-il.

Des hôpitaux à la dérive

Les secouristes de Vientiane Rescue sont aussi appelés pour des missions plus anecdotiques. Un soir, Sébastien et son équipe interviennent pour une piqûre de scorpion dans une zone rurale. L'homme qui se tord de douleur est transporté à l'hôpital le plus proche, où il est installé dans un bout de couloir délimité par une tringle à rideau à laquelle pendouille un vieux stétoscope. Au-dessus de sa tête, un ventilateur brasse de l'air chaud. «Malheureusement, ici, les centres commerciaux se développent plus vite que les hôpitaux, qui manquent de matériel et de personnel compétent», commente Sébastien, amer.

Il dit être régulièrement appelé pour des opérations basiques. « Récemment, on a été sollicités pour réanimer un nourrisson dans un hôpital à douze kilomètres de la capitale. On a pu intervenir à temps et sauver le bébé. Pour faire cela, il faut à peine 150 dollars de matériel. Mais même ça, ils ne l’avaient pas ». 

Pour l’heure, les ados de Vientiane Rescue sont les secouristes les mieux équipés du pays. Sébastien Perret ne tarit pas d’éloges sur son équipe. « Ils sont incroyables. Ce sont des ados, mais ils ont la sagesse de vie de vieillards de 90 ans », assure-t-il.

Sophie Tardy-Joubert

Actusoins magazine pour infirmier infirmière hospitalière et libéraleCet article est initialement paru dans le numéro 27 d'ActuSoins magazine 
(Dec/Janv/Fev 2018).

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