Rétrogradations volontaires dans le public : l’impossible retour en arrière

Dans la fonction publique hospitalière, lorsqu’un professionnel de santé regrette son évolution de carrière, il lui est, la plupart du temps, impossible de revenir en arrière. Article paru dans le n°27 d' ActuSoins magazine en décembre 2017. 

 Rétrogradations volontaires dans le public : l’impossible retour en arrière« Devenir cadre de santé a été ma plus grosse erreur professionnelle », lance Annie, songeuse. « J’étais infirmière et cela me plaisait. Puis, j’ai eu cette opportunité que je croyais bonne à saisir. J’ai donc suivi l’école des cadres, obtenu mon diplôme et exercé cinq ans dans cette fonction. Au début cela me convenait. Puis, je me suis rendu compte qu’il me manquait le côté humain de ma profession initiale. Le management et la gestion des plannings ne me correspondaient pas en fait. Je ressentais un vrai manque », poursuit-elle.

Au bout du compte, Annie a tout plaqué : quand elle est allée voir sa direction pour faire part d’une envie d’un retour dans les services en qualité d’infirmière, il lui a clairement été signifié que cela n’était pas possible. Dans la fonction publique, les professionnels de santé ne peuvent pas, de façon volontaire, revenir en arrière dans leur carrière.

À une période où l’on prône volontiers le développement personnel et la réalisation de soi,  la situation paraît ubuesque : d’un côté, il y a une professionnelle diplômée qui, à défaut de pouvoir revenir à un métier qu’elle aime, préfère démissionner ; de l’autre, il y a un établissement de santé qui, ne pouvant satisfaire une telle demande, perd un agent formé, motivé, et compétent.

En cause : la grille salariale

Thierry Amouroux, secrétaire général du SNPI (Syndicat national des professionnels infirmiers). © DR.

Cet inconcevable retour en arrière trouve ses raisons dans les statuts de la fonction publique hospitalière et dans ses grilles indiciaires. « Lorsque vous avez un grade ou une grille salariale, vous ne pouvez pas en changer, sauf si vous passez un concours. Or, on ne peut pas passer de concours pour revenir à un ancien statut. C’est parfois enfermant certes, mais cela a pour avantage de protéger les professionnels », explique Thierry Amouroux, secrétaire général du SNPI (Syndicat National des Professionnels Infirmiers). Impossible donc d’être rétrogradé financièrement, même si le professionnel accepte cette possibilité.

L’autre solution, pour les établissements de santé, pourrait être de maintenir une grille salariale correspondant à l’échelon acquis, tout en acceptant de rétrograder de façon fonctionnelle seulement le professionnel de santé. « C’est inimaginable pour la technostructure ! ironise le syndicaliste. Les hauts fonctionnaires qui conçoivent les grilles n’envisagent pas que l’on puisse faire autre chose que ce pour quoi l’on a été programmé et prédestiné. Si quelqu’un ne rentre pas dans leurs cases, il n’y a rien à faire. Cette demande pourrait presque même être considérée comme une trahison », regrette-t-il.

« L’institution a investi dans une formation. Si un cadre de santé souhaite une rétrogradation, on peut comprendre les raisons de la  réticence de sa hiérarchie. Mais en effet, on se retrouve dans des situations humainement compliquées », explique de son côté Martine Sommelette, présidente du CEFIEC (Comité d’Entente des Formations Infirmières et Cadres).

Même son de cloche du côté de Laurence Laignel, directrice des soins infirmiers du Centre Hospitalier St Nazaire et membre de l’ AFDS (Association Française des Directeurs des Soins), qui précise toutefois que les situations de demandes de rétrogradations avec maintien de grille salariale sont « relativement rares » et peuvent être acceptées sans perte de salaire, pour des motifs  circonstanciés. «  J’ai eu le cas d’un infirmier anesthésiste qui est revenu sur un poste infirmier, pour des raisons de santé. Pour cela, il faut un avis du comité médical et de la médecine du travail », indique-t-elle.

Pour la directrice des soins, l’impossible retour en arrière s’explique également par une éventuelle « confusion des postures ».  Citons le cas d’une infirmière tout juste diplômée qui n’assumerait pas encore ses responsabilités d’exécutante de prescriptions et rentrerait chez elle tous les soirs, angoissée d’avoir commis une erreur. Cette infirmière aimerait, pendant quelques mois, trouver un poste d’aide-soignante pour mieux se préparer. « Ce ne sera pas réalisable, explique Laurence Laignel. Aucun établissement ne prendrait le risque. On ne pourrait pas lui retirer son diplôme acquis et cela créerait une confusion des responsabilités. Parce que, si, embauchée comme aide-soignante, elle dépasse la frontière de ses fonctions, on ne pourrait pas lui reprocher. Il y aurait trop de risques sur l’ambiguïté des rôles et des fonctions »

Néanmoins, dans ce genre de dilemme, il reste tout à fait possible d’opter pour une carrière libérale ou de postuler dans le privé. C’est cette dernière option qu’a choisie Sarah, infirmière puéricultrice dans la fonction publique hospitalière qui souhaitait revenir auprès de patients adultes et a postulé dans une association d’hospitalisation à domicile. « J’étais devenue mère de famille, et c’était trop compliqué psychologiquement de voir et gérer des enfants très malades tous les jours. En hospitalisation à domicile, je m’occupe toujours d’enfants, mais pas toute la journée. Cela m’a permis de revenir à une diversité d’exercice en quelque sorte », explique-t-elle.

La solution : accompagner le changement

Martine Sommelette, présidente du CEFIEC (Comité d'entente des formations infirmières et cadres

Martine Sommelette, présidente du CEFIEC (Comité d'entente des formations infirmières et cadres). © DR

Pour Laurence Laignel, le problème se situe ailleurs. Si un professionnel en arrive à ce genre de remise en question, c’est qu’il fuit une situation difficile qu’il n’arrive pas à gérer seul ou qu’il éprouve « un ras-le-bol » dont les raisons sont peuvent être plus ou moins faciles à identifier.  « L’idéal serait de bien accompagner ce professionnel. Comprendre pourquoi il ne veut plus exercer sa fonction et lui éviter de faire des choix par défaut ou par peur.  Dans ce cas, un accompagnement sur un tutorat, une mobilité ou sur une évolution semblerait plus judicieux ».

Il faudrait aussi s’assurer avant chaque choix de formation que le professionnel sait à quoi il se destine. « Dans les spécialités, en général, ce n’est pas un problème, car les infirmiers connaissent l’évolution et leur exercice reste similaire avec des compétences supplémentaires. En revanche, c’est différent pour le statut de cadre. Il faut prévenir les professionnels que cette fonction ne sera plus du tout la même et qu’ils changent vraiment de métier : leur quotidien sera fait de management et non de  soins », souligne quant à elle Martine Sommelette du Cefiec. Et d’ajouter : « Il est très fréquent que les infirmiers testent d’abord la profession de cadre dans un statut de "faisant fonction". Cela leur permet de confirmer ou non leur désir de passer à autre chose ».

Malika Surbled

 

Actusoins magazine pour infirmier infirmière hospitalière et libéraleCet article est paru dans le numéro 27 d'ActuSoins magazine 
(Dec/Janv/Fev 2018).

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