En maraude, auprès des femmes sans-abris

Précarité sociale et résidentielle, barrière de la langue… les populations à la rue, et en premier lieu les femmes, renoncent souvent aux soins. Les équipes mobiles de l’association Agir pour le développement de la santé des femmes (ADSF) vont à leur rencontre en Île-de-France. ActuSoins les a suivi, en maraude. 

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©Emilie Lay.  Manon, Infirmière bénévole (à droite) conseille Adriana, enceinte de son second enfant.

C’était en janvier dernier. Une odeur âcre signale les abords du bidonville, invisible depuis la route. Elle provient des poêles de fortune des cabanes installées sur l’ancienne voie ferrée de la ceinture parisienne. Dans ces abris, évacués depuis par les forces de l’ordre, près de 400 Roms vivaient en famille, et l’association Agir pour le développement de la santé des femmes (ADSF) menait des maraudes.  

Ce soir, Alexandra-Sorina se plaint de maux de ventre persistant depuis son accouchement quatre mois plus tôt. Dans la pièce exiguë, à ses côtés, son amie Adriana - 20 ans dont neuf de présence en France - attend son second enfant. Elle n’a bénéficié d’aucun suivi médical lors de sa première grossesse. Ces populations maîtrisent mal le système de santé du pays et n’ont généralement pas de protection maladie.  

Les trente bénévoles qui composent les « équipes mobiles pour la santé des femmes » de l’ADSF en Île-de-France se déplacent deux fois par semaine dans ces campements où sont repérés des besoins. Ils sont gynécologues, sages-femmes, travailleurs sociaux, infirmières ou même non-soignants. Ils visitent aussi les hôtels sociaux où sont hébergés les appelants du 115 – migrants dans leur immense majorité – et les squats. En 2015, 162 femmes, dont 58 enceintes, ont ainsi été vues par ces équipes franciliennes. 

Orienter les femmes enceintes 

L’objectif des maraudes est d’évaluer leur état de santé puis de proposer une orientation ciblée. « Nous les mettons ensuite en relation avec un lieu de soins de proximité », explique le docteur Bernard Guillon, gynécologue obstétricien et président de l’association.

Aucun examen physique n’est pratiqué sur place. « Il existe déjà une offre institutionnelle, ajoute-t-il. Il faut à ces personnes des soins dans des établissements de qualité » comme les permanences d’accès aux soins de santé (Pass) des hôpitaux, le planning familial ou les services de protection maternelle et infantile (PMI) qui proposent des consultations gratuites aux femmes enceintes jusqu’au cinquième mois et aux enfants. 

Equipés d’un classeur répertoriant toutes ces adresses, les bénévoles dirigent les femmes selon deux modalités. Soit ils expliquent comment se rendre à la PMI ou aux urgences de l’hôpital, munies d’un courrier expliquant leur situation médicale et sociale.

Soit, pour les femmes enceintes, la coordinatrice des maraudes, Maria Tuneu, organise le rendez-vous médical, voire y accompagne les moins autonomes. Dans un tel contexte en effet, les grossesses relèvent de l’urgence. Précarité et insuffisance du suivi produisent un cocktail délétère, susceptible d’entraîner des complications, voire des décès périnataux… 

Des problèmes spécifiques à la précarité 

Empêtrés dans des logiques de survie - trouver de quoi manger, un toit pour la nuit, etc - ces publics ne s’occupent guère de leur santé. Et moins encore lorsque ce sont des femmes. « Elles renoncent davantage aux soins pour donner la priorité à leurs enfants, juge Bernard Guillon, également co-fondateur de l’ADSF. Or, dans la précarité, les femmes ont des problèmes de santé spécifiques. Des troubles hormonaux par exemple. Cela les inquiète. Car le rythme des règles les identifie en tant que femmes. »  

L’observation de ces inégalités a entraîné la création de l’association, en 2001. Des consultations de gynécologie débutent l’année suivante, dans le centre d’hébergement d’urgence pour femmes de Montrouge (92), dans les centres d’Ivry-sur-Seine (94) et de Paris, gérés par le Samu social de Paris, puis dans les locaux de Médecins solidarité Lille. Au total, plus de 1 022 femmes ont été reçues en 2015.

Plus alarmant : 1 500 femmes (1) accouchent dans les hôpitaux franciliens sans jamais avoir été vues en consultation. Ce constat a conduit à la mise en route des maraudes en 2014.  

Perdues de vue 

Les demandes tournent autour de la périnatalité, de l’allaitement. Les préoccupations portent sur le désir ou non de maternité : contraception, interruption volontaire de grossesse ou, à l’inverse, problèmes d’infertilité. Mais dans certaines conditions, il est malaisé de les conseiller. 

Ce soir-là dans le bidonville, Daniela, enceinte de deux ou trois mois, souhaite interrompre sa grossesse : la jeune Rom ne parle pas un mot de français et son frère traduit. Une voisine fait irruption dans la pièce et se mêle bruyamment de la discussion.

Dans une cabane ou une chambre d’hôtel abritant toute une famille, il semble impossible de préserver le secret médical ou même un peu d’intimité pour mener l’interrogatoire. « Il est difficile de s’assurer de ce que la personne veut ou de parler de choses personnelles, telle que la date des dernières règles. Surtout lorsque c’est un homme qui traduit », remarque Manon Christophel, infirmière bénévole. 

La barrière de la langue peut susciter pléiade de malentendus. « C’est le plus fatiguant. Les gens acquiescent à ce que nous leur disons. Mais lorsque nous leur demandons ce qu’ils ont compris, on réalise qu’ils n’ont pas saisi nos explications. »  

Alors, il faut recommencer, reformuler, et surtout les convaincre d’aller se soigner. « Parce qu’elles n’ont pas de protection maladie, elles fréquentent des systèmes engorgés. Elles peinent aussi à se faire comprendre des soignants, dont certains, en réaction, ne sont pas sympa », souffle Julie Beaufils, la seconde bénévole. A chaque maraude, les membres de l’ADSF tâchent donc de les revoir pour s’assurer de leur prise en charge. 

Malgré cela, certaines n’honorent pas les rendez-vous fixés ou interrompent leur suivi médical. Ces publics bougent beaucoup et parfois loin, au gré des allers-retours en Roumanie, des démantèlements des camps et de l’instabilité des hôtels sociaux. L’ADSF déplore ainsi des perdues de vue. Ce soir, il est impossible de retrouver plusieurs femmes, dont une jeune fille âgée de 13 ans, mariée depuis peu, et peut-être enceinte… « Cela peut décourager, lorsque tout le travail mené n’aboutit pas », admet Bernard Guillon.  

Une raison supplémentaire, pour l’ADSF, de se consacrer à des actions de plaidoyer. Ainsi, l’association est signataire de la campagne « 25 ans bidonvilles », qui milite contre la politique d’expulsion des bidonvilles (2). 

Emilie Lay 

 (1) Selon une étude menée en 2003 par l’ADSF, à partir des données des hôpitaux d’Île-de-France 

(2) http://www.25ansbidonvilles.org/ 

Cet article est initialement paru dans le n°20 d' ActuSoins Magazine. Pour vous abonner à ActuSoins magazine, c'est ICI.

 

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